Un début de roman en 3 actes, écrit avec promesse de suite par Eric Houser, journaliste, écrivain à ses heures. Un peu comme une parabole qui laisse perplexe ses lecteurs tout en leur laissant deviner qu'il y a une morale quelque part à trouver, ou du moins un sens : vers plus de dépouillement ? En tout cas, pour l'éditeur de ce texte, c'est d'abord le droit de changer de mode vie ... Jean-Claude Barbier.
C’est l’histoire d’un mec qui se lavait tous les jours. Pas très original. Mais dans son cas, il y avait un bonux. C’est qu’il était comme qui dirait tout particulièrement porté sur le savon. Mais à un point. Les savons, pour mieux dire. Depuis qu’il était tout petit, il cultivait une véritable addiction. Ça avait commencé avec les savonnettes parfumées au sent bon. À l’époque, bien sûr, mais il est excusable, il ne savait pas tout ce que ces petites choses, tellement mignonnes et odorantes, renfermaient de saletés ! Male olet qui bene olet, avait pourtant coutume de rappeler son père (souvenir du latinisant qu’il fut). Mais lui, le latin des Pères... Il préférait, instruit par sa mère, toujours parfumée (Chanel N° 5), s’épancher dans un bain moussant en se tartinant au Rexona, au Lux ou au Bonux (certains jours, c’était Palmolive qui avait la palme). Acte 1.
Par la suite, et là on saute une ou deux décennies, la fantaisie lui avait pris d’une sorte d’ascétisme. Un rigorisme. Plus question de savonnettes (pouah !), mais recherchons plutôt, avec quelques autres partageant la même foi, des solutions plus humbles, plus naturelles et respectueuses de l’écosystème. Du jour au lendemain, tout ce qui ressemblait à du parfum fut proscrit. Un peu comme les Romains, tiens, qui après avoir déliré en parfumant les aigles avant les combats (authentique !) avaient fait soudain machine arrière toute. On peut les comprendre (faut pas charrier quand même). Mais là, à la différence de l’acte 1, l’attitude anti-savon était soutenue par (ou entée sur) tout un discours, très construit. C’était l’époque du structuralisme triomphant, dont tout le trip baba cool, au fond, n’était que le revers mal peigné.
Dans ce nouveau registre, le savon d’Alep avait sans aucune difficulté conquis la palme. Il faut dire qu’il avait pas mal d’atouts pour lui. L’huile d’olive, les feuilles de laurier (mon Dieu, Pétrarque !), même pour un illettré comme lui ça valait son pesant de cacahuètes. Et puis, le savon, bon OK, mais d’Alep ! La plus vieille ville du monde, classée au patrimoine mondial, totalement dédiée au savon du même nom (nous y revoilà), et en plus (actu), toujours au cœur des événements les plus chauds de la planète. J’anticipe à peine. Là, on se foutait pas de vous, on ne vous jetait pas de la poudre (détergente) aux yeux, à coup de campagnes télé imbéciles et d’enzymes hyper agressifs. Là, enfin, grâce à un savoir immémorial car antique, vous deveniez pleinement acteurs de votre propre hygiène. Comment résister. Acte 2.
Pour détrôner le petit savon vert, il fallait un coup de génie, ou du sort. Mais d’ailleurs, pourquoi le détrôner ? Il fallait bien continuer de se laver au savon, non ? C’est que, revenant dans la Ville après quelques années au cul des vaches (ou quasi), notre homme en avait un peu assez de faire la queue une fois tous les deux mois à la Coop Bio, ou au Naturalia, avec dans son panier d’osier (à fond de cale) le corps du délit. Pour faire bonne mesure, certes, il lui arrivait de compléter cet achat par une livre d’oranges cabossées, un ou deux oignons couleur vert de gris, une tranchette de Comté bio... Mais bon, ça le faisait dévier de ses trajets quotidiens, entre Monoprix et l’épicerie marocaine du coin de la rue. Et dévier, en obsessionnel (merci Sigmund) qu’il s’était, l’âge aidant, confirmé d’être, c’était pas trop son truc. Mais c’est une autre histoire.
Alors que s’était-il passé exactement ? À l’âge des secondes rides, quand les sillons commencent à se creuser (que l’on s’emploie à masquer par une barbe soigneusement mal rasée), de manière tout à fait inattendue, out of the blue, il était tombé sur un article en ligne. Ach so ! C’est que, moderne et branché, il était à l’affût des dernières nouveautés et tendances, dans tous les domaines. Là, plaf, un article sur le savon, justement. Pile poil dans le thème. Mais que disait donc cet article (je sens votre curiosité titillée, là) ? Il disait : le jour où j’ai arrêté de me savonner. Une vraie bombe, rien que ce titre ! Mais mon Dieu, comment est-ce possible ? Ce fut une révolution. Une vraie de vraie. Car le témoignage de l’auteur (Mathieu Lamour, il s’appelle) était à l’avenant de son titre (locution prépositive). Et en deux coups de cuillère à pot, il lui avait réglé son compte, au savon. Avec des arguments solides, mais surtout grâce à la force d’un récit à la première personne. Magnifique. « Pourtant, à vivre régulièrement avec peu, dans la poussière de terre et dans des petites rivières, j'avais déjà remarqué que mes cheveux et le reste ne s'en portaient pas plus mal, voire mieux » (citation). En gros, l’auteur avait décidé comme ça, un beau jour, de ne se laver plus qu’à l’eau claire (froide ou chaude, il ne dit pas). Les cheveux, pareil. Exit les shampooings, les détergents, les sels de bain et les gels douche ! Et la savonnette, bien sûr (primus inter pares). Un peu de science au passage : comme on pouvait le flairer, l’argument de la flore microbienne (de la faune, devrait-on dire), à bichonner au lieu de l’agresser avec LE-SAVON (arme de destruction massive, si si !), était dans l’article discrètement évoqué. Pour notre homme, la fin du savon (même d’Alep) avait enfin sonné. Acte 3.